2015 – Texte de Michel Poitevin, dans le cadre du 60e Salon de Montrouge
2015 – Texte de Nathalie Stefanov – Professeur d’enseignement supérieur à l’ESA Nord-Pas-De-Calais, Membre de l’AICA Belgique
La peinture mise en abîme
Caroline Ebin est peintre.
Elle travaille la peinture à partir de photographies qu’elle réalise avec son téléphone dans des situations particulières. Ceci est la première étape. Lors de la seconde, ces images sont imprimées sur simple format A4 qu’elle travaillera puis agencera les uns par rapport aux autres, selon une technique qui lui permet une grande liberté de composition.
C’est là qu’intervient la peinture. « La photo n’est pas mon modèle, dit-elle ; son impression dégradée, pixélisée, est mon support. Je ne retouche pas les photos. J’imprime en noir et blanc, ou en couleur. Je peins feuille par feuille, sans vision d’ensemble. Chacune a la même valeur. Ensuite, je cherche des solutions picturales, des solutions à un problème donné, en terme de contrastes, de compositions, de couleurs. Je répare, j’exhume. Et quand c’est fini, je plaque mes papiers peints au mur ou sur une toile, comme une proposition, une peinture potentielle, qui ne sera jamais réellement faite ou finie. »
C’est donc une peinture mobile et délibérément inachevée qui se déplie dans l’espace et s’agence feuille après feuille.
Il s’agit d’un travail qui interroge les supports et les sources de la peinture aujourd’hui, à l’heure du numérique et de la mobilité : l’artiste voyage, armée de ses feuilles peintes qui s’empilent si simplement et se déploient dans l’espace muséale.
Les sujets qu’elle épingle sont quant à eux une manière de questionner le monde de l’art et la présentation des œuvres aujourd’hui. C’est ainsi que Caroline Ebin se saisit des conditions d’énonciation de la peinture, de ses modes de visibilité publique. Dans sa récente série intitulée Fiac, Caroline Ebin s’intéresse au marché de l’art, à ses acteurs et à son public, qu’elle met en scène, telle une mise en abîme de la peinture par la peinture.
Sur les « feuilles » géométriques de Caroline Ebin, on aperçoit des murs de stands ou de musées, qui supportent les rectangles de couleurs que composent les œuvres accrochées devant lesquelles passent des visiteurs. Ces œuvres, fondues dans le décor des espaces muséaux, portent l’empreinte des mondes de l’art, du système qui assure leur distribution. Elles sont parfois dissimulées par le spectateur, véritable sujet de certains de ses tableaux.
Caroline Ebin se fait observatrice par le biais de la peinture. Elle saisit des regards et des attitudes contemporaines, des comportements de regardeurs et les réinscrits dans les espaces consacrés à l’art d’aujourd’hui. Mais loin de s’arrêter au constat, elle s’empare de ces nouveaux modes de visibilité de l’art pour réinventer une manière de peindre.
Nathalie Stefanov, janvier 2015